samedi 26 novembre 2011

Histoire(s) de la Photographie

Je passe beaucoup de temps à lire sur l'Histoire de la Photographie...
Non seulement pour son aspect technique à des fins esthétiques et parfois scientifiques, mais aussi pour en comprendre les origines, les causes et les conséquences au sein du Monde.

Aujourd'hui, je vais partager avec vous ce petit récit rapporté par l'opticien Charles Chevalier, alors que Niepce et Daguerre étaient encore dans leurs recherches sur les Bitumes et autres vernis, si lents à réagir. Imaginez-donc que ce qui va suivre date d'une époque à laquelle la Photographie n'existait pas encore. Du moins, c'est ce que l'on croyait...

Certains d'entre vous auront sans doute déjà lu cette petite histoire. Il y'a déjà quelques années que j'en ai pris connaissance, mais lorsque je tombe dessus, je n'y résiste pas. A savoir si cette histoire est vraie, je ne le sais pas, mais elle me paraît tout à fait plausible lorsqu'on sait que "La même idée naît plus ou moins au même instant à plusieurs endroits dans le Monde"...

Lisez plutôt...




"Un jour que Monsieur Charles Chevalier était seul dans sa boutique d'Opticien qu'il occupait avec son père au quai de l'Horloge, quelqu'un entra, qui, sans s'annoncer d'abord comme simple chaland, consulta l'ingénieur sur diverses questions relatives à la Chambre Obscure, à ses progrès possibles, aux prix des lentilles et aux moyens à prendre pour parer, sans trop de dépenses, à certains défauts des objectifs.
Cet inconnu marchanda quelques appareils, montrant une gêne que son interlocuteur attribua à la pauvreté. Un coup d'oeil sur l'extérieur du personnage tendit à confirmer cette supposition.
Des vêtements qui se souvenaient de la propreté mais qui n'avaient plus d'âge, un chapeau râpé, peu de linge apparent, en un mot, l'étroite livrée de la détresse, voilà ce qui s'offrait au discret et rapide inventaire entrepris par M. Chevalier sur la personne de son visiteur.
L'homme était jeune encore, mince, blême, usé, ruiné par le travail ou la faim; la lame s'assortissait au fourreau.
Il avait la timidité du malheur, cette gaucherie que donnent l'habitude de l'isolement et des goussets vides et toute l'apparence d'un pauvre diable qui escompte le terme de ses maux sur l'issue d'une maladie de poitrine.
En devinant le malheur sous ses formes les plus pénibles, l'indigence et la maladie, M. Chevalier s'efforça de se montrer plus bienveillant encore que de coutume et de gagner la confiance du jeune homme, dans l'espoir de lui être utile.
Après quelques instants d'hésitation, le dernier ayant reculé, comme à regret, devant l'achat d'un objet de mince valeur, dont il avait paru apprécier l'usage, l'Opticien compris que son interlocuteur recherchait seulement ce qu'il pouvait payer, un bon conseil.

En effet, il avoua bientôt qu'il s'était construit, avec une vieille caisse de sapin et une lentille ordinaire, un appareil économique susceptible d'être amélioré au profit de certaines expériences.
Enfin il dit qu'il travaillait à fixer, par l'action des rayons lumineux, les images de la chambre obscure, et qu'il serait à même d'obtenir des résultats dignes d'attention, s'il était favorisé d'un instrument meilleur.

 - "Ah ! s'écria M. Chevalier, je connais des gens qui ont perdu à ce jeu là beaucoup d'années......"
Le malade sourit, et tirant de sa poche une enveloppe pliée, il en sortit une image sur papier en disant :
 - "Voilà ce que j'ai obtenu, en plaçant mon objectif devant la fenêtre de ma chambre."


M.Chevalier vit un amas de toits et de cheminées, et, au second plan, le dôme des Invalides, à une distance et dans une position qui lui firent penser que l'inconnu habitait dans les environs de la rue du Bac. L'horizon élevé d'où la vue était prise lui prouva aussi que cet inventeur avait son logis dans un grenier.
L'image était distincte, assez bien dégradée par rapport aux teintes; mais les lignes, qui manquaient de netteté, exprimaient trop fidèlement l'insuffisance du verre qui avait concentré les plans du tableau.

 - "J'opère avec cette liqueur", ajouta l'Héliographe en montrant une petite fiole contenant une liqueur brune qu'il plaça sur le comptoir.
Après une courte conversation, il reprit son image et sortit, en annonçant qu'il reviendrait prochainement.
Une demi-heure après son départ, M. Charles Chevalier retrouva la fiole qu'on avait oublié d'emporter.
Cet homme ne revint pas, M. Chevalier ne l'a point revu et n'a jamais entendu parlé de lui.

(NDLR: dans une autre version de cette histoire, il est dit que Chevalier tenta ensuite de reproduire l'effet photogénique en usant de cette mystérieuse liqueur. Mais l'expérience des procédés Photographiques n'étant pas encore acquis au Monde à cette époque, Chevalier n'eut pas l'idée de travailler à l'obscurité pour étendre la liqueur sensible à la lumière !)

Quelques temps après, il raconta cette apparition à M. Daguerre et lui remit la fiole de l'inconnu; deux mois se passèrent; l'Opticien ayant demandé à son ami s'il avait tiré parti de cette préparation, Daguerre lui répondit :
 - "J'en ai tiré une grande perte de temps, car tous les essais dont ce liquide à été l'occasion, ont totalement échoué; le secret de votre homme, s'il en a un, n'était pas dans cette bouteille."

Le caractère de M. Chevalier, la netteté de son jugement, la fidélité de sa mémoire, ne laissent aucun doute sur l'authenticité du fait.
Ainsi, un homme totalement ignoré aura tout découvert inutilement, tout, jusqu'à la Photographie sur papier et sera mort dans un galetas, laissant à ses cotés, un trésor dont n'héritera personne.

Ces mécomptes sont plus communs, peut-être, qu'on ne le souhaiterait, et l'imagination aurait lieu, plus d'une fois, d'évoquer, à coté du monument d'un inventeur célèbre, une figure sans nom et le visage voilé sous les plis d'un suaire."

Eugène Atget

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